Gabriel Veyre, l’épopée d’un photographe utopiste
De 1901 à sa mort en 1936, ce globe trotter entrepreneur aura accompagné le royaume dans sa mutation moderne. Ses autochromes et ses films, documents de premier ordre, sont présentés pour la première fois au Maroc.
Autoportrait à Dar Bouazza
Autochrome, 1935
©Collection Jacquier-Veyre
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Méfiez-vous de sa silhouette de Tartarin de Tarascon : Gabriel
Veyre a été un authentique globe trotter. Le démontre une sélection de ses
plaques photographiques et de ses films marocains. Réalisée en partenariat avec
l’Institut français et le Musée Slaoui de Casablanca, le Musée Nicéphore Niépce
de Chalon-sur-Saône et le groupe Total, celle-ci sera présentée dans sept villes
du royaume entre mai prochain et décembre 2012.
« Gabriel Veyre a d’abord
parcouru le monde comme opérateur, pour promouvoir le cinématographe des frères
Lumière, raconte le galeriste Philippe Jacquier son arrière petit-fils,
passionné par l’œuvre de son aïeul avec son épouse Marion Pranal. États-Unis, Mexique, Cuba, Panama, Vénézuela,
Colombie, les Antilles, et encore la Chine, le Japon : à chaque fois j’ai des
autoportraits de lui posant en costume local. En 1899, le gouverneur d’Indochine
et futur président de la République Paul Doumer lui commande un reportage sur
cette colonie française. Ce travail sera présenté à l’Exposition universelle de
1900, à Paris. Pour la première fois, les Français vont découvrir les images des
ruines d’Angkor et de la baie d’Along. Puis, de 1901 à sa mort en 1936, il
s’installe au Maroc. À Casablanca, la rue où il habitait porte aujourd’hui son
nom. Le Musée Slaoui où nous allons exposer, et qui va être inaugurer avec cet
événement, se trouve à vingt mètres de là. »
La raison du long séjour de Veyre au royaume chérifien ? « Il était invité à initier le sultan Moulay
Abdelaziz à l’art de la photographie et autres découvertes récentes. »
L’exposition montrera aussi quelques travaux du sultan : il aimait photographier
les femmes de son harem.
Femme au palais, 1901
Tirage au gélatinobromure d’argent
©Collection Jacquier-Veyre |
On le voit aussi apprendre à rouler à bicyclette. Au
lendemain de son arrivée, Veyre investit un laboratoire de photographie déjà en
construction. Il se trouve dans une annexe du palais de Fès. Là il découvre un
ami et rendra compte de son intimité dans un livre de souvenirs qu’il publie en
1905. Il se déplace avec toute la cour à Marrakech où on peut jouer sur un beau
billard français. Promu compagnon des amusements et loisirs, Veyre fait livrer
une motocyclette, puis une voiture, puis trois autres. Elles pétarades dans les méchouars et suscitent la curiosité générale.
C’est le temps des découvertes et des progrès, tandis qu’en
sous-main la banque Paribas s’emploie à cribler le sultan, trop faible, de dettes. « Mais mon aïeul ne semble pas s’être
prêté à une quelconque manipulation politique, commente Philippe
Jacquier. Dans ses lettres que j’ai lues
il défend une pénétration pacifique. »
Veyre installe la première ligne de téléphone du Maroc : à
Marrakech, elle va de la salle de billard à son atelier. Suivent, la télégraphie
sans fil et l’électricité. Lorsque la situation s’assombrit et que les intrigues
redoublent entre la France, l’Allemagne et l’Angleterre pour s’emparer du Maroc,
il s’éloigne, repart à Casablanca. Moulay Abdelaziz est déchu en janvier 1908 et
remplacé par son frère Moulay Hafid. Veyre, qui a perdu son épouse alors que
celle-ci était revenue en France accoucher d’une fille, choisit de s’établir
définitivement sous ces latitudes. Le voilà correspondant pour le journal
parisien L’illustration. Il signe
quelques beaux portraits de Lyautey et d’Amade, en couleur. Toujours précurseur,
en 1907, il créé l’usine du Grand Socco qui alimente militaires et civils en
farine, glace, eau potable, bois, briques, et même, un an plus tard,
électricité.
Moulay Yacoub près de Fès
Autochrome, 1935
©Collection Jacquier-Veyre |
En 1909, le voilà également concessionnaire exclusif d’engins Ford
et, en 1913, fondateur de l’Automobile club du Maroc. Veyre investit : il achète
mille hectares de rivage au sud de la ville. Son but ? Y révolutionner
l’élevage. Il tente d’améliorer la race bovine en croisant la vache locale au
zébu et essaie d’acclimater des moutons russes produisant de l’astrakan. Il
élève aussi des pintades de Zanzibar et des autruches pour vendre leurs plumes.
Les résultats sont mitigés. « Veyre ne
deviendra jamais riche », note son descendant. De même un projet de
barrage sur l’Oum Er Bia restera un rêve.
Dar Bouazza
Autochrome, 1935
©Collection Jacquier-Veyre |
Après guerre, toutefois il ouvrira la
première station radio et deviendra même président de Radio-Maroc. En 1934,
comme en ultime salut à son pays d’adoption, il effectue un toure des
grandes villes du royaume. Le résultat ce sera de magnifiques autochromes et une
heure de films en couleur qu’on pourra admirer dans l’exposition. Ils n’ont
encore jamais été vus au Maroc.
Kasbah Mehdia
Autochrome
©Collection Jacquier-Veyre |
Fantasia, 1901
Plaque de verre stéréoscopique
©Collection Jacquier-Veyre |
« Tout se trouvait dans l'armoire familiale, en Haute-Savoie. J'ai commencé à l'inventorier en 1988 et décidé de ne rien vendre, précise Philippe Jacquier. Je possède quatre cents prises de vue du Maroc. Une soixantaine sera montrée. Certaines sont en couleur et même stéréoscopiques. Une douzaine sera reproduite sur des toiles de trois mètres sur deux et on pourra ainsi les voir partout dans les centre-villes. Ce sera touchant. Quant aux films, qui seront diffusés en boucle, outre celui de 1934 il y en aura cinq autres plus petits. Ce sont des "kinoras", sorte de flip books, chacun de quarante-cinq secondes. On y voit deux fantasias, une sortie de cortège royal, un exercice de batteries, et une promenade du sultan avec des officiels français. »
* "Le Maroc de Gabriel Veyre, 1901-1936 " de Philippe Jacquier, Marion Pranal et Farid Abdelouahab paru chez Kubik est épuisé. Il va être réédité au Maroc aux édition Malika.
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