Géniaux artistes de l’âge de glace
Quels sont les premiers chefs-d’œuvre européens ? Réponse au British Museum, dans la pénombre et le recueillement du premier étage de la rotonde, jusqu’au 26 mai.
L'Homme-lion Photo Karl-Heinz Augustin © Ulmer Museum, Ulm, Allemagne |
Fidèle à son souci de s’adresser d’abord au grand public, l’institution londonienne révolutionne les expositions sur la préhistoire. Plutôt que d’aligner les silex et d’inventorier les propulseurs, elle choisit de ne retenir que les plus beaux. Par exemple cette lame taillée dans la pierre dure. Longue de 26 cm, avec une épaisseur de moins d’un centimètre, elle est quasiment translucide tellement elle est fine. On estime qu’elle a nécessité cinq heures de travail. On met au défi quiconque de faire aujourd’hui aussi bien avec les mêmes moyens.
Ainsi, plutôt que de lasser le visiteur dans l’explication de cette immense période du paléolithique supérieur, quand homo sapiens peuplait l’ouest de l’Eurasie (pas plus de 5000 âmes aux dernières estimations !), le BM préfère célébrer un petit choix d’ivoires de mammouth, de bois de cervidé et de céramiques. En est souligné le caractère artistique plutôt que l’intérêt archéologique.
Et c’est magique ! Constamment ces petits voire minuscules objets, très bien éclairés dans les vitrines, voisinent avec des dessins de Matisse, des sculptures d’Henry Moore ou de Brassaï que, pour un peu, on croirait leurs contemporains. Inversement, le caractère moderne des objets n’en est que plus évident. On les sent si proches de nous que le silence s’installe. Dans ce sens les cartels indiquent l’ancienneté non pas, comme à l’accoutumée, à partir de la naissance du Christ mais par rapport à maintenant. Ainsi ces miracles nés de mains virtuoses et d’un esprit aussi évolué que le nôtre – même considérations de volume, d’échelle, de perspective, de lumière et de mouvement – ne nous sont distants que de 40 000 ans pour les plus vieux et de 20 000 pour les plus récents.
Seulement pourrait-on dire tant ils s’avèrent tantôt parfaitement épurés ou à l’inverse complexes, tantôt très réalistes ou au contraire librement imaginaires. Bref il sont beaux selon notre œil moderne. Bien sûr le plus impressionnant, à savoir les fresques, n’est pas là : nos lointains aïeux excellaient dans l’art pariétal. Ici sont réunis les meilleurs sculptures, modelages et gravures trouvés en Europe, du musée de Saint-Germain-en-Laye à ceux de Russie. Dans leur majorité ils sont antérieurs à Chauvet, Lascaux ou Altamira dont les décors sont évoqués dans un film en fin de parcours.
Manche de propulseur en bois Montastruc, France © British Museum |
Voici donc les plus anciennes céramiques figuratives connues du Vieux continent, le plus ancien instrument de musique (une flûte taillée dans l’os d’une aile de vautour), le plus ancien portrait du monde (un visage de femme de 26 000 ans exhumé dans la région de Brno (République tchèque), des instruments et armes décorés. Voici des nus où la sensualité affleure. Voici un homme à tête de lion, fabuleux objet chamanique ingénieusement ciselé dans une défense. Ne ressemble-t-il pas à un personnage de Disney ? Voici des mammouths, des ours, des lions, des bisons, des rhinocéros, un glouton à belle fourrure. Voici encore un félin en mouvement, des esquisses étudiant le galop, un cheval cabré, un veau tétant sa mère, et même des rennes qui traversent un fleuve en nageant à la queue leu-leu (grotte du Chaffaud, Vienne, France). Voici donc la vie et la civilisation.
"Vénus de Lespugne" Mnhn-Musée de l'Homme, France |
Picasso possédait deux répliques d’une déesse de la fertilité, dite déesse de Lespugue.
Ses formes rondes et heurtées l’ont à coup sûr au moins autant inspiré pour ses « Demoiselles d’Avignon » que les statuettes africaines. Ainsi le sens de l’art est bien né dans cette dernière longue période glaciaire, avec le langage et la conscience de la mort. Ce désir de créer demeure identique. « Même si le message de ces chasseurs-cueilleurs et leurs intentions précises sont perdus pour nous, leur talent artistique sera toujours un motif d’émerveillement » conclut, avec raison, le commissaire Jill Cook, conservateur au BM.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire