lundi 10 décembre 2012

Voilà pourquoi le Louvre-Lens révolutionne la muséographie
Crédits photo : Philippe Chancel

Décentraliser le Louvre en province et dans un quartier défavorisé est audacieux. Concevoir un bâtiment simple, presque modeste, tout de verre et d’aluminium, sans la moindre référence à l’ancestral palais parisien, l’est aussi. Mais, pour l’amateur, la plus grande hardiesse du Louvre-Lens n’est pas là. Elle est dans la manière dont sont présentées les œuvres dans sa galerie principale, la Galerie du Temps : un espace long de 150 mètres, sans aucune cloison ; mêlant constamment, sur le fil chronologique, peintures, sculptures et objets d’art. Voilà un bouleversement. Car à Paris, depuis sa naissance en tant que musée, en 1793, le Louvre est structuré en départements isolés.
Huit aujourd’hui. Ici les antiquités égyptiennes, grecques, étrusques, romaines, orientales ; là les dessins et gravures ; ailleurs les rondes-bosses et les bas-reliefs ; ailleurs encore les arts de l’Islam, les bijoux, meubles ou vitraux du haut Moyen Âge à la première moitié du XIXe siècle. Et bien sûr la peinture, présente en majesté mais elle aussi classée par écoles (l’italienne, la nordique, la française, etc.). Cette muséographie, toujours dominante dans le monde des institutions classiques au rayonnement international, du Metropolitan de New York au Kunsthistorisches de Vienne, offre au néophyte des points de repères clairs. Comme le jeu de fiches et de sous-fiches que prépare l’étudiant avant un examen.  Elle est née dans l’Italie des Lumières, issue d'une association entre les ouvrages des premiers archéologues et historiens d’art Caylus et Winckelmann. Elle a fait ses preuves.
Mais elle n’est pas exempte d’inconvénients. Impossible par exemple de voir ensemble au Louvre un Gudéa mésopotamien, une idole cycladique égéenne et une statue de l’Ancien Empire égyptien. Pourtant ces trois pièces ont été fabriquées à la même époque et répondent à un besoin commun. Celui du sacré. Leur comparaison permet de comprendre combien cette notion est relative, culturelle et non pas idéale.
Lens est insuffisamment vaste pour avoir pu être pensé comme un Louvre miniature. Impossible d’y ménager autant d’alvéoles. Mais surtout, conçu dès son origine comme un prolongement, le nouveau lieu entend dire autre chose sur l’art et l’histoire que ce que l’on sait déjà. Fort des dernières évolutions de la connaissance, il souligne dès qu’il le peut ce que le classement traditionnel par écoles minore, voire tait. A savoir que les sociétés s’interpénètrent, que les artistes s’influencent, se concurrencent, et se constituent dans la différenciation. En progressant dans le parcours et en regardant sur notre droite et notre gauche on voit comment l’Orient et l’Occident, le nord et le sud du Vieux Continent ont répondu au même moment, avec des solutions plastiques diverses, à des questions fondamentales identiques et toujours vivaces. Celle du sacré donc, ou encore celle du corps, du passé, du pouvoir…
Autrement, à chaque fois que le regard porte au loin, la galerie offre une autre profondeur, un formidable raccourci de plus de cinq millénaires. On éprouve alors ce qu’on dû ressentir les premiers collectionneurs, quand le Louvre-musée n’existait pas encore, quand ils pénétraient dans leur cabinet de curiosités. Le merveilleux de toute création, d’où qu’elle vienne et de quelque époque qu’elle soit.

jeudi 15 novembre 2012

Expo bobo au Grand Palais

En dépit d’une scénographie misérabiliste du très tendance Robert Carsen, le thème du bohémien dans les arts s’avère passionnant. Il débouche sur l’invention de la vie de bohème.


Le Grand Palais propose jusqu'à la mi-janvier 2012 deux expositions pour le prix d’une. Car il y a un « s » à « Bohèmes ». Dans chacune un air entêtant vient à l’esprit. Au rez-de-chaussée, qui traite de l’image du nomade dans les arts à partir du XVe siècle, on sifflote Les Gitans de Dalida. « Avant de repartir pour un nouveau voyage vers d’autres paysages. Sur des chemins mouvants laisse encore un instant vagabonder ton rêve. Avant que la nuit brève le réduise à néant. » Et, au premier, consacré à la vie d’artiste fauché au XIXe siècle, on entonne La Bohème d’Aznavour. « Montmartre en ce temps-là accrochait ses lilas jusque sous nos fenêtres. Et si l´humble garni qui nous servait de nid ne payait pas de mine, c’est là qu’on s’est connu. Moi qui criait famine et toi qui posais nue. »
Ces deux chansons sonnent comme le synopsis du projet tuyau de poêle monté par Sylvain Amic, le nouveau directeur des musées de Rouen. Il a relié ces deux mondes - la bohème réelle et l’intellectuelle, par Courbet. « Il est le premier peintre à se revendiquer bohémien ». De fait, dans la célèbre toile La Rencontre (1854) celui-ci se représente sur la route, matériel dans le dos. Libre ? Absolument libre ? C’est oublier qu’il salue son mécène Alfred Bruyas. Ainsi, d’emblée, la bohème artistique cache-t-elle un mythe très précisément mis en scène.


Il en va de même avec la vraie, à cette différence notable que les intéressés n’y sont pour rien. Dans deux long tunnels marronnasses - où des empreintes de pas sont imprimés sur la moquette pour évoquer les migrations sur les chemins de terre (quelle lourdeur !) -, peintures, dessins et sculptures du XVe à la fin du XIXe participent à l’ancrage de stéréotypes négatifs touchant les tsiganes (chrétiens de l’est chassés par l’Ottoman) et les gitans (chrétiens du sud chassés d’Andalousie). Qu’importent les origines et les causes : toute cette engeance, tout ces va-nu-pieds, ce n’est que voleurs de poules, vide-goussets, mendiants et liseuses de lignes de la main. À peine humains, ils vivent avec des chèvres et des ours. Amic s’emploie à souligner ces poncifs pour mieux les démonter, tandis que de son côté Robert Carsen en rajoute dans la scénographie mélo.
Grand ami des gens du voyage, témoin de leur condition réelle, et cinéaste à l’œil gourmand (Latcho Drom, Gadjo Dilo), Tony Gatlif apprécie le propos. Ses goûts vont moins aux plus beaux tableaux tel Diseuse de bonne aventure, chef-d’œuvre de Georges de la Tour venu du Met de New York. Il préfère un joyeux campement du Hollandais Jan Van de Venne où une femme épouille son petit. « C’est plus chaleureux et cette vue n’est pas une fiction. Regardez les foulards et les chapeaux : ils sont vrais », assure-t-il. L’enthousiasment également le regard malicieux et le débraillé de La bohémienne de Frans Hals, la fière nudité de Carmen Bastian de Maria Fortuny, le visage de Christ basané exécuté par August von Pettenkoffen, les jupes longues et colorées de belles farouches de Karoly Ferenczy ou encore le port altier d’un femme allaitant signé Lajos Tihanyi. « Voilà la beauté, voilà la sensualité, voilà la noblesse ! »

Par dessus tout Gatlif adore les gravures aussi truculentes que justes de Jacques Callot. Il est un peu son descendant. « Callot a voyagé jusqu’à Rome avec un groupe de bohémiens. » On est loin d’Art et liberté, un violoniste avec encrier et partition peint Louis Gallait. « Rien de plus faux : aucun Rom ne sait écrire sa musique. »
Les roulottes de Van Gogh montre l’écart entre bohème réelle et revendiquée. « Le peintre a planté son chevalet à distance, comme s’il en avait un peu peur de ces inconnus », commente Gatlif. Preuve que les artistes dits maudits ne le sont pas tant que cela. Toutefois l’avant-garde est, depuis les romantiques, à la recherche du primitif, du sauvage, de cet homme authentique qui demeure en contact avec la nature.
Au premier étage, dans des décors si spectaculaires et envahissants qu’ils desservent les œuvres - mansarde miteuse avec papier peint en lambeaux, atelier de rapin encombré de chevalets, café montmartrois, voire gourbi de SDF -, Amic montre comment ces artistes se sont valorisés en se représentant en marginaux en proie aux affres de la création. Incompris génial, le martyr de l’art pour l’art devient une posture, au moins depuis le suicide de Chatterton. À l’autre extrémité du siècle Ma Bohème écrit (quasiment sans ratures) par Rimbaud et l’opéra de Puccini fixeront le mythe de la star écorchée vive. Il est toujours en cours (avec Amy Winehouse en dernier avatar connu).
Tous les modernes subissent l’influence. Jusqu’à Cézanne qui peint son poêle ou Degas qui s’intéresse à l’absinthe. Deux rejetons de la bourgeoisie pourtant. Dans des dizaines de toiles à la similitude frappante, folie, suicide (Decamps, Jules Blin) et guenilles portées ostensiblement (Chaussures de Van Gogh) constituent la panoplie indispensable à l’artiste. Pendant ce temps, la vraie bohème endure des maux d’une ampleur. Ils culminent en tragédie. L’exposition se termine par l’inauguration de la salle tsigane à l’exposition Art dégénéré de Munich, en 1937. Et le rappel de l’extermination de plus de 600 000 roms pendant la guerre.
« Bohèmes » au Grand palais jusqu’au 14 janvier. Catalogue, RMN 384 p., 45 €. DVD de Jean-Paul Fargier, RMN, 52 mn, 19,95 €. A lire aussi L´Invention de la Vie de Bohème, 1830-1900 de Luc Ferry, Cercle d’Art, 256 p., 35 €.




lundi 30 juillet 2012

Les ambassades extraordinaires du Louvre

En relation avec soixante-dix pays, le plus grand musée du monde joue un rôle diplomatique et économique croissant.

Par Claire Bommelaer et Eric Bietry-Rivierre
Un agenda de ministre. Dans l'avion qui l'emmène à Madrid, où le prix 2012 de l'amitié franco-espagnole va lui être décerné, Henri Loyrette détaille ses missions à l'étranger. Visite au Japon pour inaugurer la première exposition depuis le tsunami - «une façon de montrer que la France est solidaire». Voyage à Séoul pour expliquer la mythologie gréco-romaine aux Coréens avec une centaine d'œuvres de la Renaissance au XIXe. Tournée américaine accompagnant les trésors des arts décoratifs du XVIIIe siècle français. Réunion internationale d'homologues à Moscou, à l'occasion du centenaire du Musée Pouchkine. Officialisation au Maroc d'un projet d'exposition parisienne en 2014 sur la civilisation arabo-andalouse en remerciement des 15 millions d'euros donnés par Mohammed VI pour le futur département des arts de l'islam…
Aucun doute: le président du Louvre mérite sa carte Club 2000 d'Air France, le sésame ultra-VIP dont raffolent hommes politiques, capitaines d'industrie et people. «Depuis 2005, le Louvre entretient des relations avec soixante-dix pays, résume-t-il. Pas seulement pour des prêts ou des expositions temporaires, bien que nous en ayons fait circuler quatorze en 2011. Nous menons aussi des missions archéologiques, nous contribuons à la formation des conservateurs, à la conservation et à la restauration d'œuvres.»

Soft diplomatie

Fleuron national, visité chaque année par 8,5 millions de personnes, le Louvre rayonne à l'étranger et se trouve, depuis sa création en 1793, au centre de la politique étrangère française. Son président, nommé en Conseil des ministres, est une figure: souvent les officiels réclament un entretien avec lui lors de leur passage à Paris. Et tandis que la discussion se déroule dans les bureaux, leur épouse et sa délégation visitent le musée grâce au service du protocole. «Nous ne fermons jamais les salles pour ces visites, explique-t-on au Louvre, mais nous savons organiser des bulles qui sécurisent les personnalités, comme lors de la venue de Kadhafi, en 2007.» Déjà, au XIXe siècle, un banquet avait été préparé dans la salle des Caryatides pour la reine Victoria. Le musée avait même installé un salon de repos en satin vieux rose et déplacé des tableaux susceptibles de plaire à son hôte!
Bien que le musée revendique son statut de musée encyclopédique mondial, présentant des pièces de toutes époques et de toutes origines, ce rôle diplo­ma­tique ne relève pas directement de sa mission. On appelle cela de la «soft diplomatie». Reste qu'il n'y a pas un déplacement, ou presque, qui ne soit validé par le Quai d'Orsay. «Quand on a un doute, on se tourne vers les Affaires étrangères, et les ambassades sont toujours nos relais sur le terrain», glisse le conseiller d'Henri Loyrette.

Louvre des sables

Ainsi s'intensifie un vieil usage. «Diplomatie et culture, mélange des genres? Cela a toujours été le cas», relève Guillaume Fonkenell, historien du Louvre qui prépare une somme sur le palais devenu musée à paraître à la rentrée. Dès l'Empire finissant, Dominique Vivant Denon négociait pour garder au moins Les Noces de Cana de Véronèse, pris lors de la campagne d'Italie. Il y parvenait en défendant la vocation universelle des collections. Autre exemple: Mal­raux et de Gaulle ont envoyéLa Joconde à New York en 1963. Pour le plus grand plaisir de John et Jackie Kennedy, qui lui ont rendu visite au Met. En 1973, Monna Lisa était encore allée au Japon avec une halte à Moscou. Depuis, on invoque sa fragilité pour la maintenir chez elle. En 1999, La Liberté guidant le peuple a pris son billet d'avion. Jacques Chirac avait fait expédier la grande toile de Delacroix chez les Russes. En fait, depuis Napoléon, la politique n'a jamais quitté le Louvre, même si Henri Loyrette estime qu'aucun projet n'est désormais motivé«uniquement pour des raisons diplomatiques».
Au milieu des années 2000, la France amorce un rapprochement avec les Émirats. La France s'engage à construire une base militaire à Abu Dhabi afin de contrecarrer la prédominance américaine dans cette zone. Dans la foulée, le ministre de la Culture de l'époque, Renaud Donnedieu de Vabres, imagine un Louvre des sables contre un milliard d'euros pour la modernisation des musées français. Henri Loyrette n'est pas, au départ, partisan de ce projet. Qu'importe: le grand musée, imaginé par Jean Nouvel, sortira de terre en 2015, avec sa pleine collaboration.

Chypre, Allemagne, Inde, Bulgarie, Soudan, Égypte...

Les rapports avec les pays «amis» s'intensifient notamment quand l'État décide de les célébrer par une saison culturelle croisée. Dans ce cas, le premier musée de l'Hexagone est ardemment prié de se plier à l'exercice. Coup de chance en 2010, quand il s'est trouvé que l'exposition «Sainte Russie» était préparée de longue date et s'intégrait parfaitement dans la saison décidée par Nicolas Sarkozy et Dmitri Medvedev. Cela avait valu au Louvre l'arrivée d'une abondance d'icônes inaugurées par les deux présidents, avec Gazprom comme sponsor.
L'année dernière, lors de l'exposition «Cité interdite», des prêts du palais de Pékin installés dans trois espaces du Louvre ont été salués par le musée lui-même comme «un événement majeur des échanges culturels et diplomatiques» entre la France et la Chine. Cette fois, Hu Jintao jouait les guest stars, avec Schneider Electric et Louis Vuitton en soutien. «L'in­térêt pour le Louvre d'être inclus dans des saisons est que le transport et l'assurance des œuvres que nous pouvons demander sont intégralement pris en charge. Cela a permis de belles réalisations comme l'exposition sur la Pologne en 2004», plaide le président-directeur.
Prochaines échéances: «Chypre médiévale» à l'automne, à l'occasion de la présidence de l'île au sein de l'Union européenne. Et l'histoire des arts de l'Allemagne au printemps 2013, à l'occasion du cinquantième anniversaire du traité de l'Élysée. À plus long terme, l'Inde, la Bulgarie et même le Soudan, avec une exposition et des fouilles de sauvetage dans le haut Nil, sont dans les tuyaux.

«Quand tout est brouillé par le politique, le culturel peut continuer»

Évidemment, politique et culture ne se marient pas toujours bien. En 2009, les tensions entre la France et la Turquie, provoquées par la question arménienne, se sont traduites par des retards considérables dans l'organisation de la saison culturelle. Faute d'avoir reçu les prêts, le Louvre a dû patienter près de trois semaines avant de pouvoir ouvrir ses trois expositions temporaires. Enfin, à cause du projet de loi pénalisant la négation du génocide arménien, l'autorisation de mission de fouilles à Myrina n'a pas été accordée au musée français.
Mais le principe a ses avantages. «Parfois, quand tout est brouillé par le politique, le culturel peut continuer. Par exemple, en 2005 en Syrie, après l'attentat qui a coûté la vie à l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri, nous avons poursuivi notre collaboration.» Elle ne s'est arrêtée qu'avec la répression actuelle. Si l'on excepte l'Iran, la Syrie est le seul pays avec qui le Louvre ne travaille plus.
Par son rayonnement, le musée sert aussi la cause des entreprises. Dans son sillage, les généreux mécènes affluent. Comment ne pas profiter de ces moments d'émerveillement, quand les chefs-d'œuvre venus de la Ville Lumière (722 en 2011) sont déballés, pour nouer des contacts, décrocher des contrats. Comme en 2009, où PSA Peugeot Citroën avait financé une exposition de sculptures de Houdon à Rio. Cette année, pour remercier les États-Unis d'avoir notamment organisé des dîners de «funds raising» à Bentonville (Arkansas), San Francisco et Los Angeles, une petite présentation sur la naissance de la peinture de paysage outre-Atlantique a permis de contenter les amis américains du Louvre.
Détail qui en dit long: à Madrid, Henri Loyrette, haut fonctionnaire affable, n'a pas seulement reçu son prix, devant trois cents notables. Le lendemain, il renouvelait pour quatre ans un partenariat avec la Caixa Bank. En échange de quatre expositions clés en main, des peintures de Charles Le Brun seront restaurées et les caisses du Louvre seront alimentées d'une enveloppe au montant classé confidentiel.

lundi 25 juin 2012

Abdou, peintre abstrait, peintre d’histoire
ARTS Abdelkhalek Boukhars célèbre sa ville de Fès par de grands damiers d’acrylique.

Au Maroc, Fès possède la plus grande et la plus belle médina du monde. Il y a un siècle, dans un de ses plus prestigieux palais, celui du Glaoui, étaient affinés les accords du Protectorat.
 En 1956, le Glaoui était puni pour avoir collaboré avec les Français. De retour d'exil Mohammed V l'expédiait à l'étranger tandis que ses biens étaient gelés. Depuis, le palais Glaoui est tombé dans l'oubli. Seul Abdelkhalek Boukhars, descendant des gardiens du lieu, y vit et l'entretient avec ce qu'il peut. Abdelkhalek Boukhars, dit Abdou, est également peintre. Il est né là, dans ces trésors de zelliges et dans ce quartier qui surplombe une myriade de terrasses.
 Il peint les 1200 ans de sa ville. Mille deux cents petits carrés de couleurs acryliques, tous de taille identiques – un gros timbre poste - et tous différents. Ils sont rangés côte à côte dans un rectangle grand format.





 A y regarder de plus prêt, leurs rouges, leurs bleus, leurs bruns et leurs blancs se chevauchent, s’interpellent. Réseaux et connexions multiples, grouillant comme la médina vue de satellite.










Nous voici dans un monde serré, vibrant, haut en couleurs, en pleine implosion, qui donne le vertige quel que soit l’angle par lequel on aborde l’espace. Cela tient bien sûr de la calligraphie par le trait virgulé, de l’envers laineux des tapis anciens, et aussi de ces mosaïques aux figures géométriques complexes, condensés de l’art arabo andalou.





 Mais cela tient également à une connaissance de l’œuvre de Jackson Pollock, à celle de Paul Klee (lui-même s’étant inspiré des tapis berbères) et des grands maîtres occidentaux de l’abstraction. Assurément, Abdou est un artiste en plein épanouissement. Inspiré.


 Actuellement, chacune de ses toiles est l’aboutissement d’une recherche supplémentaire par rapport à la précédente. Après les losanges viennent maintenant les amoncellements…









L’Attijariwafa bank et les autres grands mécènes marocains ou autres seraient bien avisés de se pencher sur cet univers puissant et en pleine révolution.









Crédits photos: N°1 Réception de notables de la ville par le général Lyautey, mai 1916. Médiathèque de l'architecture et du patrimoine C Ministère de la Culture/RMN. Toutes les autres Sébastien Soriano, juin 2012.

Abdou, tél. :
00 212 (0)6 73 66 828

vendredi 22 juin 2012

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Quizz décollation


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Goliath, Holopherne ou saint Jean-Baptiste ? Ami un brin sadique des arts et de l'Ancien Testament, amuse-toi à trouver, dans la splendide exposition de Montpellier (du 23 juin au 14 octobre 2012), quels sont les peintres caravagesques auteurs de ces horreurs (réponse en bas de page).

 
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1 Orazio Borgianni (Goliath)
2 Giovanni Lanfranco (Goliath)
3 Bartolomeo Manfredi (Goliath)
4 Guido Renni (Goliath)
5 Giovanni Francesco Barbieri dit Guercino (saint Jean-Baptiste)
6 Guido Canlassi dit Cagnacci (Goliath)
7 Orazio Gentileschi (Holopherne)
8 Caravage (saint Jean-Baptiste)
9 Valentin de Boulogne (Goliath)
10 Aubin Vouet (Goliath)
11  Anonyme (saint Jean-Baptiste)
12 Carlo Seraceni (Holopherne)
13 Nicolas Régnier (Goliath)
14 Valentin de Boulogne (Holopherne)
15 Caravage (Isaac)… raté comme l’on sait.

mardi 29 mai 2012

Streets of Philadelphia


La première capitale des States a trouvé un moyen efficace pour revitaliser ses quartiers deshérités. Les fresques murales s'y comptent désormais par milliers. Une initiative artistique - et économique - exemplaire.

Méfiez-vous de l’image de Philadelphie conservatrice et bien pensante : elle est fausse. Partout dans cette ville d’un 1,5 million habitants, cernée par une agglomération qui en compte quatre fois plus, les murs ont la parole. C’est pour lutter contre les tags qui les défiguraient au point de constituer un baromètre précis des quartiers défavorisés et autres zones de non droit qu’a été créé en 1984 le Mural Art Program (MAP). A l’origine une artiste militante, Jane Golden, embauchée par la municipalité pour convaincre les auteurs de graffitis d’employer leurs compétences à des fins non plus destructives mais positives. Avec une première équipe de volontaires recrutés alentours elle s’attaque pendant trois mois aux deux côtés d’un pont routier reliant le secteur ouest au centre. Depuis ce partenariat public/privé à but non lucratif est allé bien au-delà des espérances.

 En 1997 le MAP est appelé pour exécuter six fresques historiques majeures en moins de huit semaines pour un sommet présidentiel sur le bénévolat. Al Gore lui-même prend un pinceau et se joint aux bénévoles pour œuvrer le long d'une des grandes avenues de Philly. Les volontaires dépassent la centaine. En 2000, le MAP investit le centre avec une composition de Peter Pagast : une Liberté portant le monde, haute de onze étages. Elle est toujours visible, et absolument pas abimée, en vis-à-vis de l'hôtel de ville.





D’autres grands plasticiens tels Ann Northrup, Josh Sarantitis, Eric Okdeh, James Burns, Steve Powers ou encore Meg Saligman fournissent les dessins. Bob Phillips et Cheryl Levin complètent les leurs avec des sculptures en acier et mosaïques de verre ou autres matérieux de récupération. Le prince Charles et son épouse Camilla passent une après-midi à les découvrir.








 En voisin du New Jersey, Bruce Springsteen se sert d’une fresque comme décors pour le clip de sa chanson Streets of Philadelphia. Nombre de rappeurs font de même. Suit la mise en route de vingt camions recyclés et peints promouvant l’action du MAP et la responsabilité environnementale. Les « murals » sont désormais éclairés à la nuit, avec des ampoules basse consommation. Un son et lumière est créé le long de la rivière Schuylkill.


« C’est aussi un plus pour l’économie locale,  commente Jerry Silverman, un des responsables historiques du MAP. Désormais 18 000 touristes par an visitent les sites à pied, à bicyclette, en tramway, lors de tours guidés. Avec les droits dérivés à l’image, cela génère un total de 2,2 millions de dollars. » Le PAM emploie environ 250 personnes (artistes, professeurs, conférenciers, etc…). Il reçoit des demandes de villes américaines mais aussi de l'étranger. Si la fresque la plus chère a coûté environ 470 000 $, le coût moyen pour exécuter une œuvre est de 25 000 à 30 000 $.
« Les projets et le choix des motifs se décident en commun avec les habitants. Les propriétaires des murs doivent bien sûr avant tout donner leur accord. Ils peuvent aussi disposer de leur bien par la suite comme ils l’entendent », précise Jerry Silverman qui n’a que l’embarras du choix pour montrer les travaux. Le voilà maintenant contrait de thématiser ses circuits. « On me demande de voir les fresques les plus spectaculaires ou les plus originales, ou les plus anciennes. Ou encore celles afro-américaines.
 Au départ, comme pour tous les graffs, on commémorait une personne, parfois tuée dans une rixe. Désormais les thèmes floraux ou surréalistes prolifèrent. »  Des rues, des quartiers entiers ont parfois été revitalisés par ce biais. Des immeubles mais aussi des garages, des usines pas forcément désaffectées, des réservoirs de raffinerie, jadis ruines ou rouille, tout est digne des plus belles parures. Autour des façades ainsi embellies sont nés des squares là où se trouvaient des terrains vagues. Avec pelouses immaculées, parterres floraux et poubelles, grâce à la Pennsylvania horticultural society.











Le MAP fait participer non seulement les enfants des écoles et les étudiants mais aussi des chômeurs. Et jusqu’à des ex-délinquants ou les détenus des cinq prisons du comté. L’année dernière, 1 815 personnes sont ainsi intervenues sur 38 sites. Parmi eux 400 étaient en but avec la justice. « 82% de ces personnes n’ont pas récidivé dans l'année de leur libération, se félicite le responsable. Dans une ville où le taux de chômage dépasse les 10 %, notre initiative a un effet incontestablement positif sur la santé et les comportements. »
Les fresques murales influencent aussi les autres arts et artistes comme en témoignent nombres d'oeuvres des étudiants de la Pennsylvania academy of the fine arts, la plus ancienne école d'art des Etats-Unis (fondée en 1805).
 








Dans South Street, le Soho local, et ailleurs les commerçants jouent le jeu. Leurs devantures rivalisent de couleurs pétaradantes et d'imagination. De la boutique de vêtements branchés au vendeur de hot dogs.









Et jusqu'à la caserne des pompiers!



En 2009 un audit commandé par la Ville constatait que le MAP s’avérait un des cinq meilleurs investissements publics. «  Nos projets sont aussi moteurs avant mêmes qu’ils soient terminés car partout où nous passons les valeurs immobilières sont à la hausse ». Un salutaire paradoxe à l’heure où les subprimes continuent d’occasionner des ravages partout sur le territoire.
En 2009, le MAP était la seule organisation artistique à recevoir une aide financière du Département américain de la Justice. Un partenariat de trois ans. Pour sa part Jane Golden est devenue professeur invitée à l'université de Princeton et occupe aussi un poste d'instructeur adjoint à la Pennsylvania academy of fine art. Elle a été nommée l'une des personnes les plus influentes de la ville par le principal news magazine de Philadelphie.
Rens : (215) 685-0750. http://www.muralarts.org/