Voilà pourquoi le Louvre-Lens révolutionne la muséographie
Crédits photo : Philippe Chancel |
Décentraliser le Louvre en province et dans un quartier défavorisé est audacieux. Concevoir un bâtiment simple, presque modeste, tout de verre et d’aluminium, sans la moindre référence à l’ancestral palais parisien, l’est aussi. Mais, pour l’amateur, la plus grande hardiesse du Louvre-Lens n’est pas là. Elle est dans la manière dont sont présentées les œuvres dans sa galerie principale, la Galerie du Temps : un espace long de 150 mètres, sans aucune cloison ; mêlant constamment, sur le fil chronologique, peintures, sculptures et objets d’art. Voilà un bouleversement. Car à Paris, depuis sa naissance en tant que musée, en 1793, le Louvre est structuré en départements isolés.
Huit aujourd’hui. Ici les antiquités égyptiennes, grecques, étrusques, romaines, orientales ; là les dessins et gravures ; ailleurs les rondes-bosses et les bas-reliefs ; ailleurs encore les arts de l’Islam, les bijoux, meubles ou vitraux du haut Moyen Âge à la première moitié du XIXe siècle. Et bien sûr la peinture, présente en majesté mais elle aussi classée par écoles (l’italienne, la nordique, la française, etc.). Cette muséographie, toujours dominante dans le monde des institutions classiques au rayonnement international, du Metropolitan de New York au Kunsthistorisches de Vienne, offre au néophyte des points de repères clairs. Comme le jeu de fiches et de sous-fiches que prépare l’étudiant avant un examen. Elle est née dans l’Italie des Lumières, issue d'une association entre les ouvrages des premiers archéologues et historiens d’art Caylus et Winckelmann. Elle a fait ses preuves.
Mais elle n’est pas exempte d’inconvénients. Impossible par exemple de voir ensemble au Louvre un Gudéa mésopotamien, une idole cycladique égéenne et une statue de l’Ancien Empire égyptien. Pourtant ces trois pièces ont été fabriquées à la même époque et répondent à un besoin commun. Celui du sacré. Leur comparaison permet de comprendre combien cette notion est relative, culturelle et non pas idéale.
Lens est insuffisamment vaste pour avoir pu être pensé comme un Louvre miniature. Impossible d’y ménager autant d’alvéoles. Mais surtout, conçu dès son origine comme un prolongement, le nouveau lieu entend dire autre chose sur l’art et l’histoire que ce que l’on sait déjà. Fort des dernières évolutions de la connaissance, il souligne dès qu’il le peut ce que le classement traditionnel par écoles minore, voire tait. A savoir que les sociétés s’interpénètrent, que les artistes s’influencent, se concurrencent, et se constituent dans la différenciation. En progressant dans le parcours et en regardant sur notre droite et notre gauche on voit comment l’Orient et l’Occident, le nord et le sud du Vieux Continent ont répondu au même moment, avec des solutions plastiques diverses, à des questions fondamentales identiques et toujours vivaces. Celle du sacré donc, ou encore celle du corps, du passé, du pouvoir…
Autrement, à chaque fois que le regard porte au loin, la galerie offre une autre profondeur, un formidable raccourci de plus de cinq millénaires. On éprouve alors ce qu’on dû ressentir les premiers collectionneurs, quand le Louvre-musée n’existait pas encore, quand ils pénétraient dans leur cabinet de curiosités. Le merveilleux de toute création, d’où qu’elle vienne et de quelque époque qu’elle soit.
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