mercredi 21 mai 2014

Le dernier temple

lLa Sagrada Familia Sophie Dulac distribution/Arsenal FilmVerleih

Critique du documentaire de Stéfan Haupt sorti le 14 mai 2014

Stéfan Haupt dédie une prière poétique à la Sagrada familia, l’édifice fantastique initiée par Gaudi à Barcelone il y a 125 ans, toujours en chantier.


Un autre jour se lève sur la Sagrada Familia. La merveille barcelonaise est toujours en chantier depuis sa naissance, il y a 125 ans. Au point que désormais les grues se mêlent harmonieusement aux pinacles. Pourquoi ? L’enquête Stéfan Haupt prend la forme d’une prière poétique. Sa caméra capte les rais de lumière perçant la dentelle de pierre. Ce qui n’est pas à proprement parler une cathédrale mais à l’origine un modeste temple expiatoire est pour tout ceux qui l’agrandissent la maison de Dieu sur terre. Son fantastique hiératisme couve les foules insouciantes des ramblas.
De ces cimes s’étend la métropole enfumée et tapageuse, surtout les soirs de victoires du Barça. À ses pieds les touristes en short écoutent sagement les explications des guides. La Sagrada est une entité vivante, le gros cœur du corps social. À l’intérieur, on manie le marteau-pilon. Des maçons ajoutent du plâtre à la poussière tandis que les soudeurs projettent des gerbent d’étincelles. D'autres encore grimpent dans les échafaudages. Tous fourmis de cette nouvelle et idéale tour de Babel. Des poutres et les treillis du béton armé s’envolent dans les coupoles aux mosaïques d’or, passant dans des ouvertures géantes comme des vortex. Éléments suspendus, comme le temps soudain immobile. Personne ici ne compte ses heures. À commencer par le maître tailleur japonais Etsuro Sotoo. Cet ancien bouddhiste zen converti au catholicisme ne désire rien d’autre qu’apprivoiser la pierre, la persuader de devenir cylindre, linteau, corniche. Et suivre ainsi son modèle Antoni Gaudi (1852 - 1926) qu’il compte bien voir un jour béatifié.
Le plus génial et incontrôlable des Tarragonais a laissé des bribes de maquettes pour toute philosophie. Mais chaque Catalan comprend d'instinct son projet, qu’il a voulu infini, à l’image de l’univers. L’architecte en chef se déclare de premier des serviteurs. Il orchestre une immense et unanime déclaration d’amour. La Sagrada, château de sable inspiré, a commencé néogothique et Art Déco, puis le style est devenu insensé. Elle se hisse au niveau de la nature, celle les montagnes sacrées de Monserrat en forme de doigts pointés vers les nuées. On y voit des anges musiciens parmi les fleurs, couvant Jésus du regard. Dans la crypte Jordie Savall interprète Bach. On y dit aussi la messe à l’abri du délire organisé au dessus, dans les cieux.
Depuis des décennies, la poursuite du chantier est critiquée. Le Corbusier, Gropius, Riccardo Bofill ont signé des manifestes. Mais la Catalogne n’a voulu ni une ruine ni un musée. Elle a fait de la Sagrada l’étendard de son autonomie. Désormais trois millions de visiteurs annuels fournissent les fonds pour les incessants travaux. Ceux de l’ultime église ? Les critiques trouvent que l’entreprise a viré au Disneyland, Ceux qui poursuivent l’œuvre… poursuivent l’œuvre.