mercredi 1 février 2012

Matisse



Les Acanthes de Matisse : une restauration très spéciale

A Bâle, la Fondation Beyeler s’est lancée depuis 2009 dans la restauration d’Acanthes de Matisse. Mais comment procéder avec cette œuvre aussi majeure que très spéciale et extrêmement fragile ? Il s’agit en effet d’un des grands papiers découpés que l’artiste, handicapé par l’âge, composait à la fin de sa vie.

Une première année a été consacrée aux recherches dans la documentation existante. Des films et des photos, dont quelques reportages célèbres parus dans la presse (Paris Match n°294 du 13 au 20 novembre 1954), témoignent de l’assurance mais aussi de la légèreté presque enfantine avec laquelle Matisse jouait, en 1953, un an avant de mourir à l’âge de 84 ans, de ses grands ciseaux de drapier, de ses feuilles et de ses gouaches.

Les Archives Matisse de Paris ont également conservé une large part d’écrits ainsi que de nombreux documents, dont toutes les chutes de papier des découpages. Elles n’avaient encore jamais été exploitées. Les textes en disent beaucoup sur le sens,  les chutes en revanche ne livrent guère d’enseignements sur la manière. Des comparaisons avec une trentaine d’autres papiers découpés conservés un peu partout dans le monde a heureusement  permis d’en savoir plus sur le processus de fabrication. Toutefois à ce jour les spécialistes demeurent circonspects.

La pièce de 311x350,4 cm, lourde de plus de 200 kg, a en effet révélé une structure complexe, faite de pas moins de treize couches différentes : châssis à clés, toile, différents papiers, gouaches et adhésifs. Où le maître, gravement malade, qui ne travaillait plus que de son fauteuil roulant et à l’aide d’un fusain au bout d’une baguette, est-il précisément intervenu dans dans cette avant-dernière création? Qu’est-ce qui a été effectué par sa principale assistante et amie Lydia Delectorskaya ? Qu’est-ce qui a été réalisé dans l’atelier niçois ? Qu’est-ce qui a pu être complété au montage, lors de la première exposition parisienne, galerie Berggruen ? Qu’est-ce qui a pu être abîmé ou « corrigé » au cours des déplacements et des autres expositions ? La pièce a été roulée et épinglée à plusieurs reprises. Les ondulations et les déformations du papier, remarquées par les différentes campagnes photographiques et les ultraviolets, sont-elles d’origine ? Et que dire des déchirures et des plis ?
Il a pu être établi qu’Acanthes  a été monté sur toile à Paris. C’est à ce moment que le châssis à clés et la toile, le papier kraft et les adhésifs ont été ajoutés. En outre, le papier de fond a été recouvert de deux couches de gouache blanche.
Autrement c’est bien à Nice que les papiers ont été recouverts de couleurs, découpés par Matisse et disposés précisément, sous ses directives, sur le mur de l’atelier. Les traits de fusain viennent aussi de l’atelier tout comme les trous de punaises, vestiges de différents essais de disposition, les filigranes et même les traces de colle. Ces marques doivent être comprises comme inhérentes à l’œuvre. Ce sont autant d’indices révélateurs d’une pensée créatrice. La restauration doit absolument les garder.
Reste que dans le laboratoire de restauration inauguré au printemps 2010, et que le public de la Fondation peut voir derrière une vitre, Markus Gross et Stephan Lohrengel tentent aujourd’hui encore de préciser certains détails. Pour cela ils procédent à des reconstitutions. Sous le regard de Dietrich von Frank, le sourcilleux représentant de la Compagnie d’Assurances Nationale Suisse qui assure l’oeuvre et soutient le projet, ils découpent parfois. Comme de très grands et très sérieux enfants.
La restauration devrait s'achever l'année prochaine.
D’autres informations sur http://acanthes.fondationbeyeler.ch